L'optimisme, ce n'est pas le refus de voir ce qui ne va pas, c'est le désir de ne pas s'y attarder. // Donne moi le courage de changer les choses que je peux changer, la sérénité d'accepter celles que je ne peux pas changer, et la sagesse de distinguer entre les deux. (Marc Aurèle) // Don't raise your voice; improve your argument. (Desmond Tutu) // Be the change you want to see in the world. (Gandhi)

30.11.19

A Paris, je butinais des passions désordonnées. "Nos vies hâtives" avait dit un poète. 
Ici, dans le canyon, nous scrutions des paysages sans garantie de moissons. 
On attendait une ombre, en silence, face au vide. 
C'était le contraire d'une promesse publicitaire: nous endurions le froid sans certitude d'un résultat. 
Au "tout, tout de suite" de l'épilepsie moderne, s'opposait le "sans doute rien, jamais" de l'affût. 
Ce luxe de passer une journée entière à attendre l'improbable !
(Sylvain Tesson, La panthère des neiges)

Chaque troupeau se frôlait, aucune ne se mêlait aux autres et les ânes filèrent sans déranger personne. 
Chez les bêtes, on voisine, on se supporte mais on ne copine pas. 
Ne pas tout mélanger: bonne solution pour la vie en groupe. 
(Sylvain Tesson, La panthère des neiges)

27.11.19



L'homme souffrait de son indétermination  génétique: le prix à payer était l'indécision. 
...
L'homme brûlait de faire ce qu'il redoutait, aspirait à transgresser ce qu'il venait de bâtir, 
rêvait d'autres aventures une fois rentré chez lui mais pleurait Pénélope dès qu'il naviguait. 
Capable de tous les embarquements possibles, il se condamnait à n'être jamais content. 
Il rêvait de l'"en même temps".  
Mais l'"en même temps" n'est pas biologiquement  possible, ni psychologiquement souhaitable, ni politiquement rentable.
(Sylvain Tesson, La panthère des neiges)

Je me consolais de mon inaptitude. 
Il y avait une jouissance à ce savoir scruté dans rien soupçonner. 
Fragment d'Héraclite : "La nature aime à se cacher". 
Que signifiait cette énigme ? 
La nature se cachait-elle pour échapper à la dévoration ? Se cachait-elle parce que la force n'a pas besoin de manifestation ? 
Tout n'avait pas été créé pour le regard de l'homme.  
L'infiniment petit échappait à notre raison, l'infiniment grand à notre voracité, les bêtes sauvages à notre observation. 
Les animaux régnaient et, comme le cardinal de Richelieu espionnant son peuple, ils nous surveillaient. 
Je les savais en vie circulant dans la labyrinthe. Et cette bonne nouvelle était ma jouvence. 
(Sylvain Tesson, La panthère des neiges)

26.11.19

...je m'étais dit qu'il était fort dommage d'affubler du même nom de chasseur l'homme éventrant le mammouth d'un coup d'épieu et le monsieur à double menton distribuant sa volée de plomb à un faisan obèse, entre le cognac et le chaource. L'usage d'un mot similaire pour qualifier des opposés n'arrange rien à la souffrance du monde. 
(Sylvain Tesson, La panthère des neiges)
Car c'est ainsi que nous allons, 
barques luttant contre un courant qui nous ramène sans cesse vers le passé.
(Francis Scott Fitzgerald, dernière phrase dans Gatsby le Magnifique)

25.11.19



Les scientifiques le regardaient de haut. Munier considérait la nature en artiste. 
Il ne valait rien pour les obsédés de la calculette, serviteurs du "règne de la quantité". 
J'en avais rencontré quelqu'uns de ces calculateurs. Ils baguaient les colibris et éventraient les goélands pour prélever des échantillons de bile. Ils mettaient le réel en équation. Les chiffres s'additionnaient. La poésie ? Absente. 
La connaissance progressait-elle ? Pas sûr. 
La science masquait ses limites derrière l'accumulation des données numériques. 
L'entreprise de mise en nombre du monde prétendait fait avancer le savoir. C'était prétentieux. 
(Sylvain Tesson, La panthère des neiges)


Jusqu'alors, j'avais couru de la Yakoutie à la Seine-et-Oise, 
obéissant à trois principes : 
L'imprévu ne venant jamais à soi, il faut le traquer partout.
Le mouvement féconde l'inspiration.
L'ennui court moins vite qu'un homme pressé. 
(Sylvain Tesson, La panthère des neiges)

24.11.19


Pour expliquer la Révolution, on ne parlera pas de multiculturalisme, ce serait anachronique, mais de délitement général et d'éclatement de la société : "Plus semblables entre eux" que les autres peuples note Tocqueville, les Français étaient à la fin du XVIIII siècle, "plus séparés qu'ils ne l'avaient jamais été en petits groupes étrangers et indifférents les uns aux autres"
Dans L'Identité malheureuse, où se retrouvent tant de Français comme dans un miroir, Alain Finkielkraut ne dit pas autre chose. Additionnez deux de nos concitoyens, ces temps-ci, ça fera toujours une division. 
(Franz-Olivier Giesbert, Le théâtre des incapables)
Sur nos politiciens Charles de Gaulle avait déjà tout dit quand, à propos d'Albert Lebrun, le dernier Président de la IIIe République, il notait:
"Au fond comme Chef de l'Etat deux choses lui avaient manqué :
 qu'il fut un chef et qu'il y eut un Etat")
(Franz-Olivier Giesbert, Le théâtre des incapables)

22.11.19

En agrafant des sacs poubelles dépliés sur des cadres de bois, ils ont fabriqué une porte qu'ils placent devant l'ouverture de la tente. 
Le lendemain, d'autres familles les imitent. 
Il se crée une sorte de mode dans le camp - il faudrait, un jour, analyser comment ou pourquoi comment cela est possible : 
que des modes apparaissent jusque dans le dénuement extrême, 
qu'il se dégage tout à coup une manière d'être pauvre que les autres veulent imiter. 
(Alice Zaniter, l'Art de perdre)

Nous ne voulons pas d'un monde 
où la garantie de ne pas mourir de faim s'échange contre la certitude de mourir d'ennui.
(Jean-Paul Dubois, Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon)

20.11.19


C'est ça, une guerre d'indépendance:
pour répondre à la violence d'une poignée de combattants de la liberté qui se sont généralement formés eux-mêmes, dans un cave, une grotte ou un bout de forêt, une armée de métier, étincelante de canons en tout genres, s'en va écraser des civils qui partaient en promenade. 
(Alice Zaniter, l'Art de perdre)
... et ceux-ci attendent dehors qu'ils se rendent ensemble, 
lentement, majestueusement, 
comme le veut leur statut
et comme l'exige leur corpulence... 
(Alice Zaniter, l'Art de perdre)

19.11.19


Il disait souvent que de toutes les nations qu'il connaissait, 
la France était le pays qui avait le plus de difficulté à s'appliquer à lui-même les vertus républicaines et morales 
qu'il exigeait des autres. 
Surtout l'égalité et la fraternité.
(Jean-Paul Dubois, Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon)
La flatterie est comme l'ombre: elle ne vous rend ni plus grand ni plus petit.
(Jean-Paul Dubois, Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon)

18.11.19


On n’explique jamais comment il fut possible, il y a si peu de temps, que la France, sans aucune contrainte, se conduise si mal sur une partie de son territoire. Et comment ceux qui se sont si mal conduits ont pu, ensuite, faire une carrière normale, parfois glorieuse.

Pour les Américains, comme pour Giraud, de Gaulle et les colons (dont la pression est encore omniprésente), il n’y a aucune raison que les Juifs algériens aient plus de droits que les musulmans. C’est-à-dire qu’ils ne doivent en avoir aucun. Et donner des droits aux Juifs, c’est pousser les musulmans à réclamer les mêmes ; et ça, pas question. Cela restera, tout au long de cette histoire, et jusqu’à la fin, le seul point commun entre tous ces gens, par ailleurs adversaires politiques irréductibles.


Le 10 février, c’est le tournant. Ferhat Abbas, qui ne s’est jamais réjoui de l’abrogation du décret Crémieux, et qui avait déjà conditionné l’engagement des musulmans d’Algérie dans l’armée française à une reconnaissance de l’identité algérienne, en a assez d’attendre un signe qui ne vient pas. Pourquoi, dit-il, voudrait-on que les Algériens meurent pour la France, si la France ne fait rien pour eux ?!
...
 Ce texte, absolument essentiel pour l’avenir, dit bien que les musulmans avaient espéré jusque-là obtenir la citoyenneté française, et que c’est parce qu’on la leur a refusée qu’ils cessent de la revendiquer : « Nous avons pensé qu’après les malheurs de la France, le colon allait réaliser et reconsidérer le problème algérien. Bien au contraire, la colonie européenne, dans sa majorité, interpréta le régime de Vichy et l’ordre nouveau comme étant l’expression intime de son idéal et la possibilité de satisfaire sa soif de domination […] face à ce refus systématique ou déguisé de donner accès dans la cité française aux Algériens musulmans, il fallait renoncer à la politique d’assimilation.
(L'année des dupes 1943, de Jacques Attali)

Car tout tient en une phrase, jamais exprimée, par personne, mais toujours pensée, et qui renvoie cruellement aux enjeux d’aujourd’hui : 
«Donner des droits aux Juifs, c’est pousser les musulmans à en réclamer ; et ça, pas question.»
(L'année des dupes 1943, de Jacques Attali)

16.11.19

Tout l'attirail d'un gommeux, 
l'archétype du fourbe cauteleux, 
du chacal sournois, 
mélange de familiarité et d'arrogance, 
de technicité et de mépris...
(Jean-Paul Dubois, Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon)

En le voyant ainsi rugir, gratter sa peau enflammée, je pensais à ce moment-là à cette notation de l'anthropologue Serge Bouchard spécialiste des cultures amérindiennes :  "L'homme est un ours qui a mal tourné".
(Jean-Paul Dubois, Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon)

15.11.19


On voulait offrir un pays libre à nos enfants, 
on s'est battus contre les Français, 
on s'est battus contre les fanatiques du FIS, 
on s'est battus entre nous 
et nos enfants nous tournent le dos, 
ils deviennent des cons à qui je n'ai pas envie de donner 10 euros et encore moins un Pays.
(Alice Zaniter, l'Art de perdre)

- Je veux retrouver mes racines.
- Les miennes, elles sont ici, dit Hamid. 
Je les ai déplacées avec moi. 
C'est des conneries, ces histoires de racines. 
Tu as déjà vu un arbre pousser à des milliers de kilomètres des siennes ?
(Alice Zaniter, l'Art de perdre)

13.11.19

Le patron du bar rougit mais persiste dans son attitude hargneuse. 
Il est trop tard maintenant pour qu'il fasse volte-face. 
Les gens que l'on prend pour des salauds, souvent, sont des timides qui n'osent pas demander qu'on recommence à zéro.
(Alice Zaniter, l'Art de perdre)


Comme l'explique joliment l'OMS "il faut beaucoup d'astuce pour vendre un produit (le tabac) qui tue jusqu'à la moitié de ses consommateurs".
(Michel Desmurget in La fabrique du crétin digital)

8.11.19


... ce que veut Ali, pour l'instant, c'est la conservation de ce qu'il a acquis. 
Le futur ne l'intéresse que s'il est un présent étendu. 
(Alice Zaniter, l'Art de perdre)

Une ancienne tradition kabyle veut que l'on ne compte jamais la générosité de Dieu. 
On ne compte pas les hommes présents à une assemblée. 
On ne compte pas les oeufs de la couvée. 
On ne compte pas les grains que l'on abrite dans la grande jarre de terre. 
Dans certains replis de la montagne, on interdit tout à fait de prononcer des nombres. 
Le jour où les Français sont venus recenser les habitants du village, ils se sont heurtés au silence des vieilles bouches : 
Combien d'enfants as-tu eu ? Combien sont restés vivre avec toi ? Combien de personnes dorment dans cette pièce ? 
Combien, combien, combien...les roumis ne comprennent pas que compter, c'est limiter le futur, c'est cracher au visage de Dieu.
(Alice Zaniter, l'Art de perdre)

6.11.19

On ne dort pas pour se reposer.
On dort parce qu'il est des tâches que notre cerveau ne peut pas conduire lorsque nous sommes actifs. 
(Michel Desmurget in La fabrique du crétin digital)

Le cerveau humain s'avère, quel que soit son âge, bien moins sensible à une représentation vidéo qu'à une présence humaine. 
C'est pour cette raison, notamment, que la puissance pédagogique d'un être de chair et d'os surpasse irrévocablement celle de la machine. 
(Michel Desmurget in La fabrique du crétin digital)

5.11.19


Notre cerveau est programmé pour répondre aux stimulis externes (sonores ou visuels), saillants, soudains et inattendus. 
Bien sûr on peut résister.  Mais, dans ce cas, l'effort est tel qu'il détourne une large fraction de notre potentiel cognitif;
ce qui conduit au même résultat que les coups d'oeils intempestifs: dégrader l'échange. 
(Michel Desmurget in La fabrique du crétin digital)

L'apprentissage ne sort pas du néant. 
... 
Les statisticiens appellent celà "l'effet Matthieu" en référence à une mémorable sentence biblique :
"Car celui qui a, on lui donnera et il aura du surplus, 
mais celui qui n'a pas, même ce qu'il a lui sera enlevé". 
... 
La nature cumulative du savoir conduit mécaniquement à un accroissement progressif des retards initiaux. 
(Michel Desmurget in La fabrique du crétin digital)

4.11.19


Plusieurs études récentes ont démontrés que notre brave cerveau supportait très mal le désœuvrement.
... 
Dès lors, plutôt que de s'ennuyer, la majorité des gens préfère sauter sur la première occupation venue même si elle s'avère a priori rébarbative. 
(Michel Desmurget in La fabrique du crétin digital)

Plus tôt l'enfant se trouve confronté aux écrans, plus il a de chances de devenir subséquemment un usager prolixe et assidu. 
...
Nous sommes des êtres d'habitudes, et à l'image de ce qui se passe pour les routines alimentaires, scolaires, sociales ou de lecture, les pratiques numériques tardives s'enracinent profondément dans la petite enfance.
(Michel Desmurget in La fabrique du crétin digital)

3.11.19

.. après quelques bla-bla d'usage sur les bienfaits du numériques, la discussion (avec une personnalité politique française porteuse de plusieurs mandats nationaux) s'est à peu près passée de la façon suivante : 
Moi : Toutes les études montrent un affaissement majeur des compétences cognitives de ces jeunes, depuis le langage jusqu'aux capacités attentionnelles en passant par les savoirs culturels et fondamentaux les plus basiques. ...
Lui : On parle d'économie de la connaissance, mais c'est minoritaire. Plus de 90% des emplois de demain seront peu qualifiés, dans l'aide à la personne, les services, le transport, le ménage. Il ne faut pas pour ces emplois des gens trop éduqués. 
Moi : Alors pourquoi les emmener tous à Bac+5 si c'est pour qu'ils finissent vendeurs chez Décathlon ? 
Lui : Parce ce qu'un étudiant ça coûte moins cher qu'un chômeur et c'est socialement plus acceptable. On connaît tous le niveau de ces diplômes. C'est pour amuser la galerie.  Il ne faut pas être naïf; et puis, plus on les garde longtemps à l'Université et plus on économise sur les retraites. 
(Michel Desmurget in La fabrique du crétin digital)

L'innovation n'a rien d'une espèce de compétence générale désincarnée que quelque jeu vidéo pourrait nous inculquer. 
Non, l'innovation c'est d'abord, pour un domaine donné, du temps, du travail et de la sueur.
(Michel Desmurget in La fabrique du crétin digital)