Une circulation rythmique s'établissait entre le coeur battant du tambour et les mouvements des hommes : le rythme était comme un flux puissant qui pénétrait jusqu'au plus profond de leurs artères et nourrissait leurs muscles d'une vigueur renouvelée.
Les femmes étaient les plus enragées : elles étaient véritablement déchaînées. C'est qu'elles étaient les premières à savoir qu'il n'y avait rien à mettre sur le feu, que les enfants pleuraient de faim, qu'ils dépérissaient, les membres grêles et noueux comme du bois, le ventre énorme. Elles en avaient parfois la tête dérangée et elles s'injuriaient, à l'occasion, avec des mots que ça n'est pas permis. Mais les injures des femmes, ne tirent pas à conséquence, ce n'est que du bruit fait avec le vent. Ce qui était plus grave, c'était le silence des hommes.
- La confiance, c'est presque un mystère. Ca ne s'achète pas et ça n'a pas de prix; tu ne peux pas dire : vends m'en pour tant. C'est comme qui dirait une complicité de coeur à coeur : ça vient tout naturel et tout vrai, avec un regard peut-être et le son de la voix, ça suffit pour savoir la vérité ou la menterie.
- Si ça prend, les femmes vont rendre leurs hommes sans repos. Les plus récalcitrants vont se fatiguer de les entendre jacasser toute la sainte journée, sans compter la nuit: de l'eau, de l'eau, de l'eau... ça va faire une sonnaille de grelots sans arrêt dans leurs oreilles : de l'eau, de l'eau, de l'eau... jusqu'au moment où leurs yeux verront vraiment l'eau courir dans les jardins, les plantes pousser toutes seules, alors ils diront : Bon, oui, les femmes, c'est bien, nous consentons.
Ce qu'une main n'est pas capable, deux peuvent le faire. Baillons-nous la main. Je viens vous proposer la paix et la réconciliation. Quel avantage avons-nous d'être ennemis ? Si vous avez besoin d'une réponse, regardez vos enfants, regardez vos plantes : la mort est pour eux, la misère et la désolation saccagent les Fonds-Rouge. Alors, laissez la raison parler. Le sang a coulé entre nous, je sais, mais l'eau lavera le sang et la récolte nouvelle poussera sur le passé et mûrira sur l'oubli. Il n'y a qu'un moyen de nous sauver, un seul, pas deux : c'est pour nous de reformer la bonne famille des habitants, de refaire l'assemblée des travailleurs de la terre entre frères et frères, de partager notre peine et notre travail entre camarades et camarades.
(Jacques Roumain, Gouverneurs de la Rosée)
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