Une manière commode de faire la connaissance d'une ville est de chercher comment on y travaille, comment on y aime et comment on y meurt.
Mais on passe ses journées sans difficultés aussitôt qu'on a des habitudes.
Le directeur de l'hôtel ne peut plus parler d'autre chose.
Mais c'est aussi qu'il est vexé.
Découvrir des rats dans l'ascenseur d'un hôtel honorable lui paraît inconcevable.
Pour le consoler, je lui ai dit : “Mais tout le monde en est là.
"–Justement", m'a-t-il répondu, nous sommes maintenant comme tout le monde.
La presse, si bavarde dans l'affaire des rats, ne parlait plus de rien.
C'est que les rats meurent dans la rue et les hommes dans leur chambre.
Et les journaux ne s'occupent que de la rue.
Quand une guerre éclate, les gens disent : « Ça ne durera pas, c'est trop bête.»
Et sans doute une guerre est certainement trop bête, mais cela ne l'empêche pas de durer.
La bêtise insiste toujours, on s'en apercevrait si l'on ne pensait pas toujours à soi.
Ils continuaient de faire des affaires, ils préparaient des voyages et ils avaient des opinions. Comment auraient-ils pensé à la peste qui supprime l'avenir, les déplacements et les discussions ? Ils se croyaient libres et personne ne sera jamais libre tant qu'il y aura des fléaux.
Richard déclara qu'à son avis, il ne fallait pas céder à l'affolement :
il s'agissait d'une fièvre à complications inguinales, c'était tout ce qu'on pouvait dire, les hypothèses, en science comme dans la vie, étant toujours dangereuses.
La formule m'est indifférente, dit Rieux.
Disons seulement que nous ne devons pas agir comme si la moitié de la ville ne risquait pas d'être tuée, car alors elle le serait.
A la vérité, il fallut plusieurs jours pour que nous nous rendissions compte que nous nous trouvions dans une situation sans compromis, et que les mots « transiger », « faveur », « exception » n'avaient plus de sens.
Impatients de leur présent, ennemis de leur passé et privés d'avenir, nous ressemblions bien ainsi à ceux que la justice ou la haine humaines font vivre derrière des barreaux.
–Ce n'est pas une raison suffisante. Cette histoire est stupide, je sais bien, mais elle nous concerne tous. Il faut la prendre comme elle est.
–Mais je ne suis pas d'ici !–A partir de maintenant, hélas ! vous serez d'ici comme tout le monde.
Le mal qui est dans le monde vient presque toujours de l'ignorance, et la bonne volonté peut faire autant de dégâts que la méchanceté, si elle n'est pas éclairée.
(extraits de La peste, d'Albert Camus)
Mais on passe ses journées sans difficultés aussitôt qu'on a des habitudes.
Le directeur de l'hôtel ne peut plus parler d'autre chose.
Mais c'est aussi qu'il est vexé.
Découvrir des rats dans l'ascenseur d'un hôtel honorable lui paraît inconcevable.
Pour le consoler, je lui ai dit : “Mais tout le monde en est là.
"–Justement", m'a-t-il répondu, nous sommes maintenant comme tout le monde.
La presse, si bavarde dans l'affaire des rats, ne parlait plus de rien.
C'est que les rats meurent dans la rue et les hommes dans leur chambre.
Et les journaux ne s'occupent que de la rue.
Quand une guerre éclate, les gens disent : « Ça ne durera pas, c'est trop bête.»
Et sans doute une guerre est certainement trop bête, mais cela ne l'empêche pas de durer.
La bêtise insiste toujours, on s'en apercevrait si l'on ne pensait pas toujours à soi.
Ils continuaient de faire des affaires, ils préparaient des voyages et ils avaient des opinions. Comment auraient-ils pensé à la peste qui supprime l'avenir, les déplacements et les discussions ? Ils se croyaient libres et personne ne sera jamais libre tant qu'il y aura des fléaux.
Richard déclara qu'à son avis, il ne fallait pas céder à l'affolement :
il s'agissait d'une fièvre à complications inguinales, c'était tout ce qu'on pouvait dire, les hypothèses, en science comme dans la vie, étant toujours dangereuses.
La formule m'est indifférente, dit Rieux.
Disons seulement que nous ne devons pas agir comme si la moitié de la ville ne risquait pas d'être tuée, car alors elle le serait.
A la vérité, il fallut plusieurs jours pour que nous nous rendissions compte que nous nous trouvions dans une situation sans compromis, et que les mots « transiger », « faveur », « exception » n'avaient plus de sens.
Impatients de leur présent, ennemis de leur passé et privés d'avenir, nous ressemblions bien ainsi à ceux que la justice ou la haine humaines font vivre derrière des barreaux.
–Ce n'est pas une raison suffisante. Cette histoire est stupide, je sais bien, mais elle nous concerne tous. Il faut la prendre comme elle est.
–Mais je ne suis pas d'ici !–A partir de maintenant, hélas ! vous serez d'ici comme tout le monde.
Le mal qui est dans le monde vient presque toujours de l'ignorance, et la bonne volonté peut faire autant de dégâts que la méchanceté, si elle n'est pas éclairée.
(extraits de La peste, d'Albert Camus)
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