L'optimisme, ce n'est pas le refus de voir ce qui ne va pas, c'est le désir de ne pas s'y attarder. // Donne moi le courage de changer les choses que je peux changer, la sérénité d'accepter celles que je ne peux pas changer, et la sagesse de distinguer entre les deux. (Marc Aurèle) // Don't raise your voice; improve your argument. (Desmond Tutu) // Be the change you want to see in the world. (Gandhi)

10.4.20


Cette phrase, elle l’entendrait souvent. À cet instant précis, elle comprit qu’elle était une étrangère, une femme, une épouse, un être à la merci des autres. Amine était sur son territoire à présent, c’était lui qui expliquait les règles, qui disait la marche à suivre, qui traçait les frontières de la pudeur, de la honte et de la bienséance.

Elles voulaient toujours savoir ce qu’il y avait à l’intérieur des choses : dans le ventre des animaux, dans les tiges des fleurs, dans les troncs des arbres. Elles voulaient éventrer le monde dans l’espoir de percer son mystère.

La charité, dit-il, est un devoir de musulman.—C’est aussi un devoir de chrétien.—Alors nous sommes d’accord. Il n’y a rien à ajouter. » *

Chez Omar, la soif de vivre allait de pair avec l’envie de détruire : détruire les mensonges, casser les images, réduire en bouillie le langage, les intérieurs crasseux pour faire surgir un ordre nouveau dont il pourrait être l’un des maîtres.

Tandis qu’elle pénétrait dans la maison, qu’elle traversait le salon baigné par le soleil d’hiver, qu’elle faisait porter sa valise dans sa chambre, elle pensa que c’était le doute qui était néfaste, que c’était le choix qui créait de la douleur et qui rongeait les âmes. Maintenant qu’elle était décidée, à présent qu’aucun retour en arrière n’était possible, elle se sentait forte. Forte de ne pas être libre. Et lui revint en mémoire ce vers d’Andromaque appris à l’école, elle la pathétique menteuse, l’actrice de théâtre imaginaire : « Je me livre en aveugle au destin qui m’entraîne. »

Ça, dit-il en montrant les plats du doigt, c’est du porc non ? Et ça, dit-il en soulevant les sourcils en direction des verres, c’est de l’alcool, n’est-ce pas ? » Amine le regarda, et d’une voix blanche il lui dit : « Mange, et tais-toi. » « Qu’est-ce que ça pouvait bien faire ? » lui demanda-t-il ensuite, tandis qu’ils marchaient dans les rues sombres du village pour rejoindre leurs lits. « De quoi as-tu peur ? De l’enfer ? On y était et on en est revenus. »

Mais nous sommes tous en prison. Tant que nous vivrons dans un pays colonisé, nous ne pouvons pas nous dire libres. »

Le frère d’Amine lui rappelait ces hommes qu’il avait croisés autrefois, sur la route de son exil. Des hommes pleins de grands mots, des hommes bouffis d’idéal, qui à force de grands discours avaient épuisé en eux toute forme d’humanité.

(exraits de "Le pays des autres" de Leïla Slimani)

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